Ca fait 5 jours qu’il en prend plein la patate, le pauvre gars, et personne pour venir prendre sa défense. Vous pouvez donc être sûr que votre Apolline va courir pour se faire l’avocate du diable. Car trop, c’est trop. Non, il ne mérite pas ça, Ion Tiriac.
Son tournoi est superbe, joué dans un endroit béni des Dieux. Il a plein d’idées à apporter au tennis. Le sponsor est bleu : pourquoi ne pas jouer sur une terre battue bleue ? C’est génial, personne n’y avait pensé. Mais il faut aller plus loin, et Apolline aussi a des idées. Pourquoi ne pas jouer avec des balles bleues ? Des balles bleues qui clignotent le nom du sponsor. Comme ça nous pourrions avoir de vrais ralentis publicitaires. Et pourquoi pas des bâches qui changent d’annonceurs pendant un point, comme en football ? D’accord tout ça perturberait la visibilité du joueur, mais tout le monde sait que le tennis se joue à l’oreille. Tiens d’ailleurs, il y en a marre de ce silence pendant les échanges ! Quelques réclames sur fond de cris de jouissance d’Amazones lascives, voilà ce qu’il faudrait envisager pour le tennis du XXIème siècle. Tiriac doit avoir déjà anticipé tout cela. Tiriac a une réponse à tout, fonctionnelle, efficace. Lors de notre interview l’an dernier à Monte‐Carlo, il avait reçu un coup de téléphone en direct qui nous a fait mourir de rire une heure plus tard, une fois que nous l’avions quitté. Verbatim du moustachu dans un mélange de français, d’italien et de roumain à poil dur : « Quoi ! Quoi proublème. Mercedes cassé ? Coumment Mercedes cassé. Mouteur cassé ? Alors si mouteur cassé, changer Mercedes ». On vous la fait courte et on exagère un peu, mais l’anecdote respirait ça : « Si Hambourg cassé parce que tennis allemand cassé, tournoi de Hambourg changer en tournoi de Madrid parce que Nadal bon moteur ». Il se passe que depuis cinq jours Tiriac paye juste ce petit essuyage de plâtres inhérent à tout déménagement entre l’Allemagne et l’Espagne. Pas de quoi fouetter un chat. Reste un petit soucis. On ne doute pas qu’il puisse changer de Mercedes quand le moteur est cassé, on doute par contre qu’il puisse changer de stade si celui qui a été construit ne plait à personne.
Voici donc la Caja Magica, la nouvelle enceinte futuriste du stade olympique de Madrid pour ce qui se veut le 5ème Grand Chelem. Peut‐on parler d’architecture dans ces pages ? Comme si Apolline allait vous demander la permission ! Il serait un peu court de séparer le monde entre bons et mauvais gens, bons et mauvais artistes, ici bons et mauvais architectes. Pourtant il y a un peu de ça quand on tombe nez à nez avec une œuvre. On aime tout de suite ou on n’aime pas, on ressent tout de suite un élan ou on passe à côté, indifférent. Avec l’architecture, c’est un peu plus compliqué : non content d’aimer ou pas, il va falloir vivre avec, et parfois tout l’espace d’une vie. L’enjeu est grand. Rien de pire qu’un immeuble, qu’un pont ou qu’un stade raté. Les spectateurs qui le rempliront n’y changeront rien. L’architecture commande la vie. Je suis parce que tu construis.
C’est désormais officiel : les Madrilènes vont devoir passer toute leur vie à regarder du tennis dans la Caja Magica, la boite magique que leur a construit l’architecte français Dominique Perrault. Avant de vous dire ce qu’Apolline pense de la Caja Magica et du travail de Dominique Perrault en général, elle va juste faire remarquer avec un sourire que si on résume toute l’affaire, Madrid a employé un architecte français pour venir titiller l’ego de Paris, ville qui reçoit un de ces quatre grands chelems. On peut désormais savourer toute la pertinence de ce choix : non content d’avoir fait accélérer le lancement du projet d’extension de Roland en contre‐attaque (dont l’architecte, Marc Mimram, a été désigné hier), Dominique Perrault s’y est mis de tout son talent pour planter magistralement un projet en signant une nouvelle œuvre froide, fermée, carrée, bétonnée, pesante par le toit, loin du court, avec du tubulaire sur des loges surnuméraires à faire passer les VIP pour des prisonniers en cellule de haute surveillance, et des pentes de gradin dignes des plus mauvais délires d’Enki Bilal. Il a fait un stade fermé qui peut s’ouvrir au lieu de faire un stade ouvert qui peut se fermer. Bref les Espagnols n’ont pas vu venir le cheval de Troie que la France leur a envoyé : quand toute l’imagination de Dominique Perrault sortit de son flanc, il était déjà trop tard.
Dominique Perrault, pour ceux qui ne le savent pas, a signé d’autres oeuvres relevant de la même vision et de la même impasse : du fermé, du glacial et du bien carré… même quand il fait dans le rond comme au Vélodrome de Munich. Vous pouvez passer tous les projets en revue : de la Médiathèque Construx de Venissieux à celle très Habitat du Sky Hotel de Barcelone, c’est l’architecture congelée même sur les terres du printannier Gaudi : un sacrilège ! Perrault est surtout l’auteur de la Grande Bibliothèque, dite Bibliothèque Mitterrand. Si Apolline vous parle de ce bâtiment, ce n’est pas uniquement parce qu’elle le déteste cordialement comme la très grande majorité des Parisiens, mais parce qu’elle, elle y a vécu. En bonne pionnière d’un certain nombre de choses, elle a en effet eu l’opportunité d’emménager dans ce quartier à ses tous débuts, c’est‐à‐dire quand il n’y avait que la Bibliothèque et rien autour. C’était la chance fantastique de voir comment un quartier se construit, comment un tissu social prend forme, comment la vie s’organise peu à peu. Comme Apolline n’est pas du genre à mater sans participer, elle fut donc la présidente d’une des plus grosses associations de ce quartier, où elle s’employa à essayer de mettre en place un certain nombre d’actions dites de proximité. Au bout de deux ans, Apolline a rendu son tablier et s’est barrée très vite de cet endroit, et elle n’y passe en coup de vent depuis dix ans que pour constater la même chose : le quartier de la Bibliothèque est le pire quartier de Paris. A cause de quoi ? La Bibliothèque de Perrault pardi. Enorme vaisseau sans âme, monté sur un plateau complètement ouvert au vent, mouroir à pingouins cherchant désespérément l’entrée du lieu et d’un savoir lui‐même enterré rien que pour incarner l’inaccessibilité de la culture. Quand un jour, Apolline est allée voir les responsables de l’endroit pour qu’ils ouvrent un accès de lecture pour les enfants du quartier (majoritairement fils d’immigrés et totalement étrangers à ce lieu, autrement que pour venir y faire du skate‐board), on lui a répondu tout un tas de choses qui respirait le lieu, son architecture, ses lignes toutes raides, son discours à angle droit. Ah ça, à l’intérieur de sa bibliothèque interrminable, Perrault peut bien mettre une vraie forêt – déjà en train de mourir dix ans plus tard – la vérité c’est qu’il vient de dessiner à lui seul les cinquante années à venir du quartier en séparant brusquement deux endroits anciennement populaires, Tolbiac et le Quai de la Gare. Tout ça pour un vaisseau fantôme et maudit, cf toutes les erreurs de fonctionnalité, qui de la sauvegarde des livres à celle de l’informatique ont plombé le projet dès l’ouverture. Voilà le quartier mort‐né, qu’une pincée de MK2 et un soupçon de barques dansantes au bord de la Seine croient encore pouvoir égayer. Un peu de lumière et d’eau, c’est toujours ça de pris, mais rien ne sauvera une vision de la culture enfermée à double tour dans un bunker.
Ce destin sera également celui de la Caja Magica. Chaque année, les Madrilènes vont aller voir du tennis au bunker. Chaque année, ils vont faire dix jours de prison. Apolline est désolée de placer en comparaison le travail de Jean Nouvel, mais c’est une œuvre qu’elle trouve tout le temps géniale, légère, sensible et surtout ad hoc. Un Nouvel affreusement lâché par son propre pays (et par Platini) au moment de l’appel d’offres du Stade de France, autre gentil ratage sauvé par le titre de champion du monde de 1998. Pourtant en voyant l’autre jour le lumineux projet de grand stade qu’il venait de dessiner pour le 20 000ème numéro de L’Equipe, et en lisant l’argumentation tenue face à Jean‐Claude Killy pour illustrer tous ses choix jusque dans les moindres détails d’anticipation sociologique, on était juste heureux d’avoir encore un mec comme ça en France. On était également heureux que Madrid n’ait pas pensé à lui.
PS : Comme l’allusion au mec qui en prend plein la patate n’aura pas échappé aux subtils lecteurs de GC‐WLT, vous comprendrez naturellement qu’Apolline attende encore un peu pour envoyer du gros fil sur Richard Gasquet.
Publié le jeudi 14 mai 2009 à 14:31