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Lettre aux Federiens, puis aux Nadaliens

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Vous l’aurez noté, Apolline n’a pas encore rédigé son grand texte trimes­triel sur notre duo favori. Ce sera pour lundi. Mais comme vous connaissez bien votre amie, vous savez qu’elle se chauffe toujours avant le week‐end pour véri­fier si tous les circuits de contrôle sont en ordre. 

C’est quand même assez éton­nant ce qui se passe depuis main­te­nant le début de l’année chez les Federiens. Il se dégage un senti­ment qui s’est encore renforcé depuis le début de cet Open d’Australie par un débat perma­nent sur le déclin du cham­pion, la posi­tion ultra critique de ses fans après son match contre Berdych, la décon­si­dé­ra­tion insi­dieuse du tableau et de joueurs qu’il a éliminé pour­tant très brillam­ment. Apolline avoue qu’il y a quelque chose qu’elle ne comprend pas. Pourquoi ce désa­mour ? Cette impres­sion lanci­nante que ses anciens hagio­graphes préparent déjà les valises pour aller se trouver une autre idole ? Serait‐ce la trouille ? La trouille de ne pas avoir misé sur le bon cheval ? En tout cas le pauvre Roger, s’il parcourt les dédales du Net doit se dire : « Seigneur, protégez moi des mes amis, mes ennemis je m’en charge ». Et notre Seigneur, qui recon­naît toujours les siens, sait bien que jamais, au grand jamais, Apolline, l’ennemie de plume de Roger (pour rire car tout cela n’a pas d’autre impor­tance qu’un débat d’esthète) ne se permet­trait un dixième de ces propos‐là. Elle a toujours pensé que le Suisse était un immense joueur, elle a déjà écrit que ce type de talent ne connais­sait pas de déclin (comment d’ailleurs serait‐ce possible dans un jeu qui ne cesse de s’améliorer) et que jusqu’au dernier Grand Chelem et à l’image de Sampras ou de Gonzales (l’immense Pancho qui battait encore Laver alors qu’il était grand‐père), Federer serait toujours en mesure de l’emporter. C’est d’ailleurs en consi­dé­rant que Roger était toujours à bloc et faisait tout ce qu’il faisait avec la meilleure des inten­tions et des virtuo­sités, qu’elle pouvait se permettre de l’allumer sur d’autres critères très person­nels, très subjec­tifs mais c’est là tout l’intérêt de sa prise de posi­tion : changer l’angle, opérer un pas de côté, espérer faire sens par ce déca­lage, mais jamais au grand jamais ne faire oublier que Federer n’est criti­quable que parce qu’il fait réfé­rence, parce qu’il est un jalon incon­tour­nable de ce jeu dans la plus parfaite tradi­tion de ses aînés. 

De leur côté et à force d’avoir collé le nez sur leur cham­pion sans comprendre sa réelle origi­na­lité, avoir usé et abusé de la boite à dithy­rambes pendant 4 ans, puis commencé à douter un peu, beau­coup, et passion­né­ment quand le Rafa jardi­nier fut venu, il y a du mou dans la corde à noeud chez les plus convaincus des Federiens. Apolline a même vu Elmar, pour­tant compa­triote de Roger et sous le prétexte très louable de défendre l’humanité de son poulain en rappe­lant très juste­ment qu’on ne naît pas cham­pion mais qu’on le devient, énumérer les bran­lées que Federer avait essuyées dans sa jeunesse. C’était très suisse, plein de bonnes inten­tions, mais ça procé­dait fina­le­ment de la même erreur inversée : des trois sets secs infligés à ses adver­saires dans un flori­lège d’adjectifs déli­rants, on passait aux trois sets secs que Roger avait soi disant encaissés la tête et la queue basses, en oubliant de parler du senti­ment plus complexe qui était ressorti de chaque défaite. Et le senti­ment des matches, c’est plus impor­tant que tous les scores. Relisez les décla­ra­tions de Simon sur Nadal pour le comprendre : le tennis n’est pas une ques­tion de score mais d’alchimie entre inten­sité person­nelle et choix tactiques à des moments clefs dans des matches clefs.

Prenons le premier d’entre eux contre Agassi à Bâle en 1998. Dédé avait toujours raconté que rétros­pec­ti­ve­ment ce match ne lui avait pas laissé un souvenir impé­ris­sable et le score parait parler pour lui : 6–3 6–2. Mais qu’on revoit le match et le senti­ment sera bien diffé­rent. Certes Federer est ce jeune garçon un peu tête brûlée qui arrose ici ou là pendant les deux sets. Oui mais il y a déjà des points où il met Agassi à 4 mètres de la balle et avec cette impres­sion de faci­lité décon­cer­tante qui va devenir sa marque. Qui à cet âge là pouvait mettre Agassi à 4 mètres de la balle ? Personne. 6–3 6–2 dans ces condi­tions, c’est pas du tout une branlée, c’est même un match très promet­teur et toutes les grandes défaites que Federer essuiera au début de sa carrière pren­dront des allures de leçons de profes­sion­na­lisme mais jamais de K.O tech­niques. On peut là encore citer une de ses défaites d’apparence les plus sèches contre Clément à Marseille en 1999, mais elle n’aura mis en exergue que les sautes d’intensité du Suisse ou plutôt sa diffi­culté à placer ses phases d’intensité et de relâ­che­ment au bon endroit. Federer situera menta­le­ment cette rencontre comme un match pivot de sa carrière. Reste qu’il y joue déjà un tennis de réfé­rence, il y fait déjà tout ce qu’il fait aujourd’hui. Federer ne prend pas de branlée, Federer ne prend jamais de branlée. A part une fois et Apolline en parlera en post scriptum.

Apolline rappelle donc pour les Federiens que la ques­tion du niveau de jeu de leur poulain ne se pose et ne se posera jamais. On pourra juste situer chez lui des hausses et des baisses de confiance qui le feront passer de « jouable si on ne lâche pas menta­le­ment » (confère Berdych) à « injouable quand il est chaud comme la braise » (confère Del Potro), et les deux en même temps selon la progres­sion du match (confère Roddick). Et c’est le plus beau compli­ment qu’Apolline peut faire à Roger Federer à ce jour. 

Mais ça ne change rien à la donnée et au débat lancé il y a deux ans à la sortie de son Open d’Australie. Federer est‐il le plus grand joueur de tous les temps ? Apolline avait posé trois critères

1) Gagner Roland Garros, le tournoi le plus dur du circuit

2) Battre plus souvent son grand rival que ce dernier ne le bat

3) Rentrer dans une 4ème dimen­sion personnelle

A ces critères, Federer a pour l’instant échoué. Pas de Roland, pas de trans­cen­dance. On l’avait quitté il y a 2 ans alors qu’il était mené 6–3 contre Nadal, il en est désor­mais à 12–6 et il est probable qu’il ne comble jamais tout son écart. 

Eh bien Apolline va prendre le contre‐pied de tout le monde en disant que ces statistiques‐là, il faut désor­mais les effacer car c’est un autre duel qui démarre entre ces joueurs, et c’est même une sorte d’An 01 que vit le monde du tennis. 

An 01 parce que c’est désor­mais Rafael Nadal qui est numéro 1 avec toute la pres­sion qui va avec. An 01 parce qu’il est enfin devenu un joueur aussi fort sur dur que sur terre, fina­le­ment en mesure de défendre ses chances face à Federer sur surface rapide. An 01 encore parce que c’est un Federer à grand voile, sans ce petit déficit de prépa­ra­tion enclenché par sa mono­nu­cléose de 2008, qui se présen­tera en finale, frais, affûté, avec un max de confiance en son jeu. An 01 parce qu’autour d’eux le paysage tennis­tique est enfin à l’image de notre duo favori. Ce ne sont pas des plai­san­tins que Nadal et Federer ont affrontés pour arriver jusque là, ce sont des vrais, des grands joueurs, des mecs comme Verdasco qui depuis sa finale de Coupe Davis et son passage chez André Agassi envoie du lourd, des mecs comme Murray et Djokovic qui veulent foutre Nadal et Federer dehors même s’ils n’ont pas eu l’occasion de les rencon­trer en Australie, et derrière encore des Français menta­le­ment solides comme Simon et Tsonga qui sur un tournoi peuvent vous assai­sonner, enfin des rocs comme Roddick et Davydenko qui tiennent la maison top 10 depuis quelques années. 

C’est l’An 01 du tennis. Il faut remettre tous les comp­teurs à zéro. Dimanche, tout commence. Federer‐Nadal : 0–0.

Cette lettre finira bien sûr par un petit mot aux Nadaliens, de plus en plus nombreux à rejoindre la cause, Nadaliens de la 1ère heure, Nadaliens de la 25ème heure, et tiens même ceux qui ne comprennent toujours pas le phéno­mène, ceux pour qui le match contre Verdasco ne suffit pas à sceller un destin, ceux qui comme Guy Forget s’entêtent encore à parler de « bûcheron ». Qu’ils sachent que rien ne change. Leur cham­pion a encore répété son credo depuis deux semaines : « Improve, improve, improve ». S’il gagne dimanche, il dira “I got to improve to win the US Open”. S’il perd, il dira : “Last year I was in semi, and this year I was in final, so it’s better, no ?”. 

Qu’on n’attende toujours aucun pronostic pour dimanche, Apolline se régale trop du tennis visua­lisé depuis une semaine pour avoir à penser à tout ça. 

Allez Roger ! Allez Rafa ! Mais allez Rafa deux fois !

Forcément

Apolline

PS : Pour plonger dans cette spirale de l’amélioration, Apolline va parler du jour J où Federer a pris une grosse branlée. C’est contre Rafael Nadal à Paris en 2008. Il y fut en effet dominé tech­ni­que­ment, tacti­que­ment, physi­que­ment, menta­le­ment et il prit l’avoinée de sa carrière. Pourtant à la revoyure et alors même qu’elle n’a pas pardonné à Roger cette impres­sion de retraite en rase campagne au début du 3ème set, Apolline a un peu modifié sa percep­tion de ce match et va venir rejoindre Wilander dans la lecture du résultat car elle avait oublié que le bon Mats, l’iconoclaste le plus savou­reux du circuit, lui avait prophé­tisé l’affaire un an avant, par un beau dimanche d’été à Maison‐Laffite, juste après la finale 2007 : « En fait Roger ne change pas de tactique contre Rafael à Roland parce qu’il préfère perdre 6–4 en restant du fond que de se prendre un 6–1 en montant au filet. Mais qu’il le prenne son 6–1 ! Au moins il verra ce que ça donne ». Et c’est exac­te­ment ce qu’a fait Federer, ce qui pour le coup réha­bi­lite une certaine forme de courage invo­lon­taire chez lui, tant le Suisse donna l’impression qu’il accep­tait pour la première fois de se trouer devant tout le monde. A suivre.