Depuis deux Monte‐Carlo, Apolline laisse ses lecteurs abandonnés avec une phrase énigmatique. L’an dernier c’était « Monfils ne sait pas compter jusqu’à 3 », cette année c’était « Monfils ne sait pas compter jusqu’à 5 ». Voici la révélation (enfin!) de ce que veut dire cette expression à l’heure où Gaël apprend péniblement, très péniblement, à compter jusqu’à 20.
Ah ça on ne peut pas se tromper sur le nom de l’entraineur de Gaël Monfils, car c’est bien un Thierry Champion peint en noir qui vient de jouer un tour de con à son Karel Novacek du jour, le Croate Ivan Ljubicic. Pour les plus jeunes d’entre nous à qui cette ouverture de texte ne fait rien résonner, rappelons les faits. Thierry Champion, rameur sans arme du tennis du début des années 90, rencontre à Roland en huitième de finale le Tchèque Karel Novacek, qui doit s’imposer sans trembler. Et dans un match pénible au possible, Champion fait une « Champion », c’est à dire fait tourner en bourrique le Novacek qui au moment de conclure le match se met à vendanger les occasions les unes derrière les autres au point de devenir complètement fou et d’arroser les bâches devant une foule hilare, qui n’en croit pas ses yeux. On l’a retrouvé le soir même à Saint‐Anne au service Grands Entonnoirs. Et aussi sûrement que le penalty piqué est devenu une Panenka, un match où un mec se fait dessus et devient fou s’appelle une Novacek. C’est pas aussi connu que la Panenka mais ça permet de déceler un vrai aficionados du tennis d’un croquignole des courts annexes. S’il ne sait pas ce qu’est une Novacek et une Champion, passez votre chemin.
Modérons le propos, Ivan Ljubicic n’a pas perdu la tête face à Gaël Monfils mais par contre on ne pourra pas nier que ce dernier se soit préparé à établir le siège de barricades que Thierry Champion construisait en son temps depuis la bâche : je ne ferais peut‐être pas de point, mon gars, mais je ne ferais pas de faute. En cela, Apolline est d’accord avec un de nos internautes à la formule bien trouvée. Un Champion ou ce Monfils d’aujourd’hui, c’est assez « insupportable », dans le sens où il est difficile de supporter, comprenez soutenir un joueur qui semble avoir posé le campement au fond du jardin et ne sortira de la tente que pour aller claquer quelques aces. Aujourd’hui Apolline a même vu des fous de tennis, des welovetennismen (l’ami Novulari et ses amis) sortir au bout d’un ou deux sets du Chatrier tellement ils n’en pouvaient plus de cette impression de néant de créativité et de prise de risque des deux côtés.
Mais c’est vraisemblablement qu’ils ont oublié qu’avec Gaël Monfils, on revient de loin, de très loin. Pour le comprendre il faut désormais comprendre ce qu’Apolline a voulu signifier il y a un an, puis il y a un mois et demi en racontant que Gaël ne savait pas compter jusqu’à 3, puis jusqu’à 5.
Il y a un an à Monte‐Carlo, Apolline qui adore aller trainer aux entrainements, regarde celui de Gaël Monfils. Il vient alors de changer d’entraineur, de quitter Thierry Champion pour Olivier Delaître. En face de Gaël Monfils, le vétéran Thomas Johansson. Suivez la scène. Monfils engage une balle, qui revient, ça fait 1. Là Monfils met un premier pétard, qui revient, ça fait 2. Puis Monfils met un missile encore plus fort qui finit soit un mètre derrière la ligne, soit dans la bâche, soit il fait point gagnant et le mec est humilié à 4 mètres du feutre. Il rengage une balle, même topo. 1, 2, 3, dehors. Derrière lui, Delaitre ne dit pas un mot. Ca va durer comme ça 10 minutes, puis Monfils s’arrête pour déconner avec Johannson. Il fait 3, 4 volées sur le même principe c’est à dire qu’à partir du 2ème puis du 3ème coup, c’est le grand Magic Circus. Il plie les gaules, et voilà l’entrainement de Gaël Monfils. L’après‐midi, il joue Radek Stepanek. Apolline se met en tribune et elle compte : 1, 2, 3 dehors. 1, 2, 3, filet. 1, 2, 3 pétard. 1, 2, 3, bâche. Puis l’on comprend à son air bas et triste que Monfils est blessé. Il arrête le match au bout d’un set, vient faire son Français en conférence de presse. Tout le monde gobe le truc sans rien dire. Apolline revient à sa table, et elle dit à Richard Evans : « Monfils ne sait pas compter jusqu’à 3 ».
Cette année, Apolline revient à Monte‐Carlo (une idylle avec le Prince Albert ? Un abonnement au Jimmyz ? L’enquête court) et comme les vieilles qui marchent dans la mer, elle va faire sa petite visite annuelle sur les terrains du haut. Tout le monde est affairée à son rôle : Federer bosse, Nadal bosse, Ferrer bosse, Moya bosse, PHM bosse. Et puis il y a Gaël Monfils. Aujourd’hui il s’entraine avec Novak Djokovic (sur lequel Apolline vous en racontera une bien bonne dans quelques jours histoire de vous expliquer pourquoi tout le monde fait erreur sur ce formidable champion). Gaël engage une balle. Ca fait 1, puis 2, et à 3 Monfils lâche un premier pruneau que Djokovic arrive à remettre tant bien que mal, à 4 il frappe encore plus fort et le Novak remet encore. A 5, c’est dehors, filet, bâche ou point qui atomise le Serbe. Ca, Monfils va le répeter pendant 10 minutes devant un Djokovic qui n’ose rien dire mais qui ne parvient pas à se régler tant chaque balle de Monfils est joué avec des intentions incohérentes. Nole vient alors au filet pour bosser sa volée de revers mais même chose, Monfils lui met que des mines assourdissantes (et des trucs, il faut le reconnaître, de folie, qui quand ils restent dans le terrain, laissent pantois n’importe quel observateur. Et pour vous faire vraiment saliver, Apolline peut même vous dire qu’à l’entrainement Monfils a la plus grande gifle de coup droit de l’histoire du tennis. Un lasso à réaction qui défie l’entendement) mais Djokovic ne peut jamais faire plus de 4 volées de suite, car Gaël pète toujours au 5ème coup, principalement sur son revers. L’apres‐midi Monfils joue Verdasco. Apolline s’assoit donc juste derrière Thierry Champion, et là qu’on m’amène sur la place de Grève pour exécution publique si je mens mais de 0–0 jusqu’à 5–4, Gaël Monfils n’a jamais réussi à mettre plus de 5 coups de suite dans le court. Apolline et son collègue fondateur de GrandChelem ont même commencé à se prendre d’un fou rire à partir de 3–3. Apolline rentre alors en salle de presse et dit à Richard Evans : « Richard, il y a un progrès : Monfils ne sait pas compter jusqu’à 5 ».
Alors vous comprenez, quand aujourd’hui et depuis une semaine, Apolline voit que Gaël Monfils a l’air de comprendre son intérêt à mettre la balle 10 fois de suite au‐dessus du filet plutôt que de fritter sur tout ce qui bouge, et que le simple fait de faire ça pendant 3, 4, 5 heures s’il le faut, oblige tous ses adversaires à se demander comment ils vont finir un point face à lui, elle ne peut pas jeter la pierre sur Thierry Champion car c’est peut‐être lui qui est en train de faire comprendre les rudiments du tennis à son joueur. Bien sûr comme vous, et concernant beaucoup de Français, elle trouve qu’il est malheureux que cet apprentissage‐là se fasse après 18 ans, elle trouve dommage que nos petits Bleus mettent autant de temps à savoir s’ils ont envie d’y arriver ou non, d’exister ou non, et de se donner les moyens en conséquence. C’est un gâchis épuisant sur lequel elle reviendra encore et toujours dans les jours à venir. Mais pour une fois qu’un gamin a l’air enfin de saisir qu’il doit passer par une reconstruction contre‐nature de son jeu pour commencer à se faire redouter en tant que super‐défenseur pour un jour, peut‐être, utiliser sa force de frappe et devenir un super attaquant, eh bien on ne critiquera pas ce travail de longue haleine.
Publié le lundi 2 juin 2008 à 21:39