Il y a 16 ans jour pour jour, Roger Federer décrochait son premier titre ATP. Le 5 février 2001, le Suisse dominait Julien Boutter en finale de Milan. A l’époque, le Bâlois était âgé de 19 ans. En 2012, lors de la sortie de « Roger, mon amour », nous avions interrogé Julien Boutter, l’adversaire malheureux, sur ses souvenirs de cette finale. Séquence flashback.
Interview réalisée en 2012
Tu gardes un souvenir vivace de ta finale à Milan, face à Roger Federer ?
Bien sûr, oui, je m’en souviens très bien, même si ça ne date pas d’hier (rires). Je me rappelle que je n’avais pas très bien joué cette semaine‐là, mais je savais aussi que la surface était très avantageuse pour mon jeu. Ce tournoi comptait dans mon calendrier. Après avoir beaucoup lutté dans les tours précédents, je suis parvenu à trouver mon rythme. Et ma qualification pour la finale était plutôt méritée. C’était la première de ma carrière. A l’époque, Roger Federer était connu pour son talent, il était classé dans le top 30, mais n’avait pas encore eu la chance de soulever un seul trophée. C’était aussi le Federer des débuts. Sur cette surface rapide, il était très porté vers l’avant. Je savais que le match allait être essentiellement une conquête de terrain.
Ce tournoi, c’était un vrai tournoi indoor…
Pour le coup, oui, on jouait sur du Taraflex, avec des balles vives. Les instances internationales n’avaient pas encore décidé de modifier la vitesse. Roger faisait partie de ces vrais attaquants. Quatre fois sur cinq, il était en phase offensive. A la moindre occasion, il se ruait au filet et mettait énormément de pression sur son adversaire. Avec le recul, il avait un jeu calqué sur celui de Pete Sampras. Il cherchait continuellement à écourter l’échange. De plus, son service était très performant.
Dans quelle ambiance s’est jouée cette finale ?
Le tournoi de Milan, qui n’existe plus maintenant, était vraiment un bel événement. Les organisateurs aimaient le protocole. Je me souviens qu’avant de débuter, nous avions eu droit aux hymnes de chaque pays. C’était plutôt émouvant. D’ailleurs, je ne me rappelle pas avoir entendu la Marseillaise une autre fois pour l’un de mes matches ! (Rires) Aujourd’hui, un grand pays comme l’Italie n’a plus de tournois ATP dans la période indoor, je trouve ça un peu dommage.
C’était aussi les débuts du scoring électronique…
Oui, les arbitres commençaient à utiliser des boitiers. Et, comme pour toute petite révolution, il y a eu quelques soucis…
De quel genre ?
C’est Lars Graf qui officiait sur la chaise d’arbitre. Il ne m’a parlé de ces petits problèmes que cinq ou six années plus tard… Mais je dois bien avouer que je n’avais rien remarqué durant mon match. Après coup, je trouve ça plutôt dingue !…
« Dingue » ? Pourquoi ? Tu ménages le suspense, là…
En fait, le duel était serré. Je gagne le deuxième set au tie‐break, après avoir perdu le premier. Et, comme j’avais commencé à servir dans le jeu décisif, j’aurais dû débuter le dernier set à la relance. Or, j’ai commencé à servir alors que c’était au tour de Roger. Je ne dis pas que je l’aurais emporté, mais je trouve ça plutôt drôle. Lars a été gêné de m’expliquer tout ça… Mais rassure‐toi, je lui ai pardonné ! (Rires)
Ce n’est pas plus historique de l’avoir perdu, cette finale, avec le recul ? (Rires)
Tu es sérieux ? Tu rigoles ! (Rires) Quand tu es en finale, ton objectif, c’est de soulever la coupe. L’avantage de cette défaite, c’est que c’est moi qui ai déclenché sa fabuleuse série (NDLR : Roger Federer compte, à ce jour, 76 titres sur le circuit) – et que je le lui rappelle à chaque fois qu’on se croise ! Sans avoir créé un lien particulier avec lui, c’est un vrai clin d’œil. De toute façon, ce mec est incroyable et d’une simplicité déconcertante. Son autre grande qualité, c’est qu’il a une mémoire folle. Il se rappelle de tous nos duels et même de certains points. Roger aime le tennis, ça se sent. Ce sport respire en lui. Mais pour revenir à ta question, oui, avec le recul, ça me permettra de raconter une histoire à mes enfants. A l’époque, on savait qu’il était doué. Très doué, même. De là à penser qu’il allait remporter autant de titres et rester au sommet aussi longtemps… Ce n’était pas écrit !
Comment tu as accueilli son dernier titre en Grand Chelem, à Wimbledon ?
Avec un cri de joie !… J’ai retrouvé en demi‐finale, face à Novak, et en finale, le vrai Federer. Du moins, celui que j’aime.
Et c’est quoi, « le vrai Federer » ?
Celui qui rentre dans le court, celui qui cherche à faire mal. Et non celui qui te regarde dans les yeux en se disant qu’il va te battre à ton propre jeu. Comme Roger sait que le temps passe, j’ai l’impression qu’il a tendance à ne plus surjouer quand il est en danger, mais à retrouver son instinct. C’est cet instinct ou, plutôt, cette capacité à inventer et à créer qui lui a réellement permis de devenir un grand champion. Et plus que de mental, je parle de technique, de prises de balles et de choix tactiques. Car, en‐dehors de ça, il possède un calme déconcertant. De ce point de vue‐là, c’est toujours un exemple, qu’il l’emporte ou qu’il rende les armes.
D’une certaine manière, comme tu le dis, les conditions de jeu dictées par le circuit n’ont pas favorisé ce type de comportement sur la deuxième partie de sa carrière…
C’est vrai et je le déplore un peu. Le changement a été peut‐être trop radical. Et inutile de dire que j’aime le tennis quand on attaque – c’était ma filière. Alors, quand je vois Roger monter à nouveau au filet, ça me fait vraiment plaisir ! D’autant que c’est un sacré volleyeur.
Tu as souvent expliqué que Roger manquait d’audace, sur terre battue…
Je reste persuadé qu’il est un très grand joueur sur terre battue. D’ailleurs, quoi qu’on dise, ses résultats le prouvent et il est né sur cette surface. Je me rappelle de sa dernière finale, à Roland Garros, face à Rafael Nadal. Il avait démarré à 100 à l’heure, break en poche dans le deuxième set, après avoir asphyxié l’Espagnol dans le premier. J’étais chaud bouillant et…
Et ?
Et il a décidé de reculer un peu, de se laisser torturer sur son revers. Dans un premier temps, Rafael Nadal est revenu au score. Puis, il est passé devant et la finale était terminée. Moi, c’est comme ça que j’ai analysé ce match, vu des tribunes. Autant te dire que j’étais un peu énervé.
Pour toi, il est le plus grand de tous les temps…
Je vais être sincère : je suis comblé, j’ai eu la chance de le jouer et aussi de le battre (rires) (NDLR : en 1999, au Challenger de Grenole, Boutter bat Federer 4–6 6–2 6–3). Aujourd’hui, il porte notre sport. Il a permis qu’il soit encore plus populaire. Roger est une icône, un homme de valeurs. Quand il va partir, il va y avoir un vide. Alors, quand je le vois aussi motivé par les Jeux Olympiques à Londres, aussi fringant sur ciment, j’espère juste qu’il pourra rester un petit peu plus de temps tout en haut du tennis mondial. Mais je préviens aussi tout le monde… Profitez‐en, car, un jour, il sera bien obligé d’arrêter. A ce moment‐là, seules ses victoires et ses coups magiques demeureront éternels.
La première de Federer
Julien Boutter, 67ème, a perdu la finale du tournoi de Milan contre Roger Federer, 27ème, en janvier 2001, 6–4 6–7(7) 6–4. Professionnel de 1996 à 2004, Boutter a été classé 46ème au meilleur de sa carrière, en 2002. En 2003, il a remporté son seul titre ATP à Casablanca, face à Younes El‐Aynaoui, 6–2 2–6 6–1. Il a disputé près de 150 matches sur le circuit ATP, mais n’a jamais dépassé le stade du deuxième tour en Grand Chelem.
A Milan, Roger remporte le premier des 89 titres – série en cours – de sa carrière. Il s’était incliné, auparavant, lors de ses deux premières finales, disputées en 2000. C’était à Marseille et à Bâle. Ce trophée en Italie, en 2001, sera le seul cette même année, marquée aussi par deux autres défaites en finale de tournois, à Rotterdam et, à nouveau, à Bâle.
Publié le dimanche 5 février 2017 à 14:00