Rafael Nadal va gagner le tournoi de Monte‐Carlo. Oui, je sais, je me mouille, je prends un risque, un gros risque. Il faut avoir une foi déterminée et la force de l’expérience pour se fendre d’une affirmation aussi étonnante. Cela ne vient pas de nulle part, non. Il y a 30 ans de cela, un vieux marabout namibien m’a enseigné à lire l’avenir dans des bouteilles Lanson. Si, si, la célèbre maison de champagne était, dans le temps, beaucoup plus populaire que Coca Cola dans les pays africains. A l’époque, ce vénérable ancêtre vivant en ermite dans le désert du Kalahari avait prédit, 24 heures avant… le lever du soleil. Aujourd’hui, je reprends le flambeau. Armé de ma bouteille, je le dis, je le redis : Rafael Nadal va gagner la semaine prochaine. Cela tombe bien, Lanson est partenaire du Monte‐Carlo Rolex Masters.
La forme
Rafael Nadal est numéro cinq mondial. Certes. Cela ne fait que deux mois et demi qu’il a renoué avec l’adrénaline de la compétition. Certes. Son genou le fait encore souffrir, l’incitant à la prudence. Certes. Mais Rafa reste sur 14 succès consécutifs, trois titres, une finale et des succès sur cinq des membres du top 8 – Novak Djokovic, Andy Murray et Jo‐Wilfried Tsonga y ayant encore échappé. Mieux, il s’est tant imposé sur terre battue que sur dur, avec des sensations retrouvées progressivement, jusqu’à un parcours exemplaire à Miami. Et mieux que mieux, cela va en s’améliorant. « Cela peut sembler étrange, mais, au Brésil (NDLR : à Sao Paulo, en février), ça s’est plutôt mal passé, je n’étais pas satisfait, j’ai mal joué malgré le titre », confie‐t‐il à IB3. « Depuis, tout a changé. Les choses sont allées de mieux en mieux et beaucoup plus rapidement que je ne l’escomptais. De très mauvais, je suis passé à très bon. » Reste la question du physique, bien sûr. Néanmoins, ses problèmes au genou semblent avoir un impact relativement positif : Nadal se doit de mieux gérer son calendrier et ses efforts. Il a, ainsi, fait une croix sur le Masters 1000 de Miami. Récupération. Et, pourtant, son tempérament devait le pousser à tenter à sa chance… C’est peut‐être l’avènement de la maturité. L’équilibre entre folie et raison, la tension entre éloge de la prudence et apologie de l’inconscience, ou la charismatique et paradoxale énergie du champion.
La terre
Horacio Zeballos a inscrit son nom à la suite d’une liste réduite de joueurs que l’histoire de Rafael Nadal ne pourra oublier – abominable défaite, je vous exorcise, toi et ton regard sanglant ! Oui, Zeballos est le huitième joueur à avoir battu l’illustre Majorquin sur terre battue depuis 2005. C’était à Vina del Mar, pour son grand retour, en février. Les autres sataniques élus ? Novak Djokovic, Roger Federer, Fernando Verdasco – mais était‐ce de la terre ? –, Robin Söderling, Juan Carlos Ferrero, Igor Andreev et Gaston Gaudio. Mon marabout namibien me l’avait confirmé : si l’air est l’élément de Federer, l’eau celui d’Andy Murray et le feu celui de Djokovic, Nadal a ses racines en terre, les deux pieds ancrés au sol, comme si l’insulaire craignait de voir, ahuri, son petit lambeau méditerranéen se dérober sous lui. Sa force est ici. Avec 93% de victoires sur cette surface et seulement 20 échecs en 286 rencontres, il commande aux glissades infinies et aux poussières folâtres. Seuls les cris de sa mère – son père n’a jamais su faire partir une machine – à la vue de ses blanches chaussettes systématiquement rougies et tournant, peu à peu, de l’immaculé au jaune sale et pisseux semblent échapper à son contrôle. Et puis, en 2013, Rafa possède un avantage non négligeable : il a déjà 13 matches sur l’ocre dans les jambes. Ses principaux concurrents, Djokovic, Murray ou Del Potro… aucun.
La concurrence
Parlons‐en, des concurrents. Novak Djokovic est incertain, Al Jazeera Sport aurait même déjà annoncé son forfait. Blessé face aux Etats‐Unis, en Coupe Davis, le Serbe ne devrait prendre aucun risque en vue de son objectif majeur de cette première partie de saison : Roland Garros. Derrière, Djoko, Andy Murray, qui reste sur un titre à Miami, ne paraît pas en mesure de le bousculer, lors même qu’il disputera ses premiers matches sur la surface. Il n’a jamais battu Rafa sur terre. Et n’a jamais pleinement brillé sur le Rocher. Un quart de finale l’année dernière, deux demies, c’est tout. Juan Martin Del Potro ? Invité par l’organisation, il n’est pas encore trop sûr de sa participation, même si cela semble se confirmer, le loustic s’étant envolé hier pour la Principauté. Jo‐Wilfried Tsonga ? Tomas Berdych ? Bien peu croient un exploit possible. Roger Federer et David Ferrer sont d’ores-et-déjà forfaits… Bref. Le plateau, s’il demeure alléchant et ouvert à des surprises, consacre l’actuel numéro cinq mondial grand favori. Tout le monde est en rodage, quand lui carbure depuis plusieurs semaines déjà sur une surface dont la transition est toujours un challenge. Ajoutez les soucis physiques des uns et des autres et vous obtenez une vision relativement limpide dans les bulles du champagne – cela vaut toujours mieux que d’odorantes entrailles d’un mouton malchanceux.
Le classement
L’actuel numéro cinq mondial. Vous avez bien lu. Rafa est à nouveau en‐dehors du top 4. Résultat : le Majorquin s’est trouvé à affronter Roger Federer en quarts de finale d’un tournoi, à Indian Wells. Un vent d’étonnement avait, ce jour, soufflé quelques gouttes imprévues sur le Kalahari. Alors imaginez un seul instant qu’il ne soit pas parmi les quatre premières têtes de série lors du prochain Roland Garros ? Certains journalistes en viennent même à réclamer à l’organisation du Grand Chelem parisien un fonctionnement à la Britannique, avec délivrance des statuts protégés non en fonction du classement actuel, mais des performances passées – oui, je sais, c’est en réalité un peu plus compliqué. Quoi qu’il en soit, ce scénario distribuerait des cartes bien différentes des éditions passées. Les apprentis medium en verraient, sans aucun doute, leurs prédictions perturbées. Même si Rafael Nadal n’est pas obnubilé par cette délicate possibilité – il n’était pas franchement effondré de voir son nom sabler notre Big Four préféré –, il la garde dans un coin de sa tête. Avec 2590 points à défendre d’ici son voyage vers la Porte d’Auteuil, contre seulement 840 à David Ferrer, il ne part pas gagnant. Titre à Monte‐Carlo, titre à Barcelone et titre à Rome. Reste Madrid, avec un deuxième tour, pour regonfler ses bourses. Un beau challenge, un challenge d’importance, qui passe par un nouveau trophée du côté du Rocher.
Le rocher, tout simplement
Parlons‐en, du caillou. Parlons‐en – et la pierre ne se trompe jamais. Rafael Nadal en est l’octuple détenteur, on vous l’a dit, le garçon est lié au sol, à la roche, à la terre. Une pierre sacrée au parfum de légende, dont il est le sculpteur. Gardien de la carrière. Carrière bien remplie, malgré la jeunesse, qui le voit soulever le trophée tous les ans depuis 2005. Où il n’a perdu qu’une seule et unique fois, en 2003, face à l’ami GuiGui. Soit 42 victoires consécutives et un ratio en carrière de 44 succès pour un échec. Nul besoin de grandes démonstrations, de véhémentes incantations ou de crépusculaires braiements. Evidemment, comme à son habitude, Rafa joue la prudence et l’humilité – de façade, d’intérieur ou de décoration, elle demeure principe inamovible. « Gagner à nouveau Monte‐Carlo ? Vous ne pouvez pas toujours gagner », relativise‐t‐il. « J’ai des blessures encore fraîches, même si ça va mieux de jour en jour. » Bien sûr. Son esprit plane sur Monte‐Carlo, comme les vagues lèchent le sable et les rochers de cette côte azurée. C’est là qu’il y a remporté le quatrième titre de sa carrière. A croire qu’il s’était trompé, en 2003, pour son premier trophée soulevé à Sopot. On lui avait parlé de Monaco, d’un drapeau aux bandes horizontales de gueules et d’argent – de rouge et blanc, pour les intimes. Souci géographique, le voici en Pologne aux couleurs inversées. Oui, c’est facile. Toujours est‐il que le Country Club reste le théâtre de ses premières grandes émotions, de son premier trophée d’importance. Mon marabout me l’a bien confirmé : Rafa veut son neuvième.
Rafael Nadal va gagner le tournoi de Monte‐Carlo. Vous en êtes convaincu ? Moi, oui. La voyance est une science imparable. Elle ne se trompe jamais. Elle souffre simplement, de temps en temps, d’incompréhensions et de malentendus. De temps en temps. Et… si jamais ? Mmmh… Je suis un charlatan ?
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Publié le vendredi 12 avril 2013 à 17:15