Roger Federer n’accorde que très rarement des interviews en face à face, à moins qu’elles ne lui soient proposées par un média très important. Il fallait bien que GrandChelem/Welovetennis tente sa chance d’une façon différente. Logiquement, je me suis rendu à Bâle pour les Swiss Indoors, LE tournoi de Roger, lors du fameux Super Monday. Je savais que j’avais la garantie de le voir sur le court, ainsi qu’en conférence de presse, à défaut de lui poser quelques questions en direct. Récit d’une journée très intense, qui se termine par un petit moment d’anthologie. Quand la chance se présente à vous, il faut savoir la saisir.
Il est tôt, le matin, quand je quitte les rives du Rhône, où se trouve la Rédaction, pour rejoindre Bâle, capitale européenne des laboratoires pharmaceutiques. Et ville paisible, car quelque peu fortunée… Sur la route, je me limite à 120 km/h, Suisse oblige. Après avoir passé Genève, une cité du cosmopolitisme, et Lausanne, l’olympique, je file vers Bâle… Bâle, antre de penseurs célèbres, marquée par les vies d’Erasme, de Nietzsche, de Jung… Bâle, visitée quelques semaines auparavant, pour le premier épisode de notre concept « Road to Roger » – pèlerinage sur les traces du champion helvète. L’arrivée à la Sankt Jakobshalle se fait sans soucis. D’autant que, pour faciliter mon parcours, j’ai eu l’audace de suivre la voiture d’un équipementier tennis.
Me voilà maintenant au fameux « desk media », où je dois retirer mon accréditation. L’attente est longue, la procédure aussi ; on ne badine pas avec la sécurité au pays du chocolat. En récupérant mon badge, identique à celui d’un cadre chez Nestlé, j’apprends que mes accès sont limités. Très limités, même. Pour avoir le privilège de mettre un pied au village, il va falloir encore montrer patte blanche. A ce sujet, je m’empresse d’interpeler la Directrice Médias : « Comment se fait‐il que vous êtes le seul tournoi au monde où les journalistes ne peuvent pas aller librement au village ? » « Parce que nous sommes les Swiss Indoors. » La réponse est claire, à défaut d’être étayée. Je n’insiste pas, m’installe à mon desk et explore la presse locale. Roger est partout. En grand. En pub. En portrait. En idole. En égérie. J’ai envie de dire… normal. Je fais un point rapide avec la Rédaction, à Lyon. Mes missions sont définies : palper l’ambiance et, surtout, assister, en fin de soirée, à la conférence de presse de Roger Federer.
Auparavant, je glisse un SMS à l’agent de Julien Bennetau pour caler un entretien. Ca se fera après son match. Parfait, Julien joue en début d’après‐midi. Le temps de faire le tour des lieux, de voir des RF sur tous les fronts et Benet’ est déjà prêt au Player’s Lounge. Escorté, je pénètre dans le sacro‐saint. Le joueur français se montre toujours aussi alerte et sympathique. On a du temps devant nous et l’attaché de presse de l’ATP est cool, pour une fois. L’entretien va se terminer. J’entends des claquements de main. Je me retourne. Le Roi est là, tranquille. Il discute, il est chez lui, et il n’est, pourtant, qu’à 25 minutes de son entrée sur le Central. Zen. Roger s’installe dans un canapé avec son pote de toujours, Marco Chiudinelli. Relax. Pendant ce temps, Stanislas Wawrinka, assis sur le frigo de boissons énergétiques, cause avec Pierre Paganini.
Un peu plus tard, j’assiste à l’entrée du Maître… sur le court, cette fois. Sous les vivas de la foule, bien entendu. Pour un match plutôt maussade face à Benjamin Becker. « Press conference at 20h45 », annonce, sans porte voix, l’une des stagiaires du centre média. J’ai préparé ma petite caméra et mon iPhone, je suis dans les starting blocks. Je me mets au premier rang en salle de presse, du côté des Suisses alémaniques. Roger a du retard. Beaucoup de retard. Il est 21h30, quand il arrive avec ses bodyguards, vêtu d’un jean, prêt à aller faire la tournée des sponsors au village. « Le tournoi ne serait pas devenu ce qu’il est sans lui », avouait dans Le Temps, quotidien de référence, le Directeur du tournoi, Roger Brennwald, dont le contrat avec le numéro un mondial arrive à son terme.
Roger Federer répond alors aux questions normales et logiques suite à un premier tour dans un ATP 500. D’abord en anglais, puis en suisse allemand. Enfin, en français. C’est là que votre serviteur, à l’affût, tapi dans l’ombre, surgit pour égayer une soirée un peu terne. Je tremble légèrement, ma caméra aussi. Je l’éteins. Il est temps de passer à l’action. Je lève la main et apostrophe enfin le champion.
« Roger, je vais te poser une question qui n’a absolument rien à voir avec ton match d’aujourd’hui. Nous sommes allés sur tes traces, il y a quelques semaines… et, donc, dans ton ancien club, le Old Boys Tennis Club de Bâle. Tu sais que c’est devenu un lieu de pèlerinage ?
- (Sourire) Comment ça, un lieu de pèlerinage ?
- En fait, on nous a expliqué qu’il y a des bus de Japonais et de Chinois qui viennent et que, chaque jours, on y croise des fans du monde entier…
- C’est plutôt gratifiant, c’est un peu comme à Hollywood, alors ! (Rires)
- Oh, je ne peux pas te dire qu’il y a foule non plus, mais ça arrive quelques fois. En fait, ils veulent, tous, voir les courts où tu as grandi…
- Et bien, ils ont encore de la chance d’avoir ceux du Old Boys à se mettre sous la dent, car mes deux autres clubs ont été rasés. J’ai l’impression que personne ne veut conserver les courts où j’ai appris à jouer au tennis. (Rires) Je me demande vraiment si, en Suisse, on veut voir apparaître un nouveau Federer (rires) ! Plus sérieusement, le Old Boys a beaucoup compté pour moi. C’est là‐bas que j’ai commencé à m’aguerrir et à devenir un vrai joueur de tennis. C’est drôle que vous y soyez allés !
- Pour te dire la vérité, on ne s’est pas contentés d’y aller pour y faire du tourisme…
- C’est‐à‐dire… Là, tu m’inquiètes… (Rires)
- (Sourire) On voulait jouer sur ton court, celui qui porte ton nom !
- Bonne idée ! Ca m’intéresse, continue…
- En fait, j’ai joué contre l’une de mes journalistes et on a vécu un super moment…
- Pourquoi ?
- Tu sais, je ne suis pas un très grand joueur, mais je suis parvenu à faire ton tweener ! Pas aussi parfaitement que toi, évidemment, mais j’ai quand même marqué le point.
- (Rires) C’est dingue, cette histoire !
- Je t’avoue que j’étais assez fier de réussir ça sur le Roger Federer Centre Court ! (Sourire)
- L’essentiel, c’est que mon court t’ait inspiré ce coup ! (Rires) Le tweener, c’est un truc vraiment magique… Bravo ! »
La salle de presse accompagne le sourire du Suisse. Intérieurement, comme un enfant, je jubile. J’ai échangé quelques mots avec Roger Federer. Je repars une heure plus tard de la Sankt Jakobshalle, avec l’idée que j’ai rempli ma mission. Le courage a payé, l’environnement très spécial de ce tournoi m’a aidé, car ce petit moment d’intimité n’aurait jamais pu avoir lieu ni sur un Masters 1000, ni sur un tournoi du Grand Chelem. En trois mots… Vive la Suisse !
Publié le mardi 23 octobre 2012 à 12:00