Kristof Vliegen a accordé une interview à Michaël Bouche de 7s7.be, dans laquelle il s’exprime à propos du dopage. Selon lui, le dopage existe bel et bien dans le tennis. Kristof possède les moyens de son affirmation : il aurait une photo de la liste de Fuentes. Analyse.
Les langues se délient. Oui. Et nos voisins belges font parler la poudre. L’objectif : briser l’omerta qui règne autour du dopage dans le tennis et la manière dont la lutte est menée. Christophe Rochus avait montré la voie en affirmant, mi‐janvier, dans La Libre : « Le dopage dans le tennis est une réalité. […] Concernant Nadal, ces rumeurs restent des rumeurs même si tout le monde se pose la question : comment peut‐on être aussi fort à Roland‐Garros et un mois après soi‐disant ne plus pouvoir jouer ? C’est ça qui fait que ça paraît suspect, mais on n’a aucune preuve. » Aujourd’hui, c’est Kristof Vliegen qui met son franc‐parler à l’honneur. Le Flamand, ex‐30ème joueur mondial, se confie à notre confrère Michaël Bouche et 7s7 sur ce sujet ; c’est une petite bombe, qui, en explosant, pourrait faire des dégâts – des dégâts salutaires qui permettrait de clarifier la situation et mesurer l’ampleur de la plaie.
Une situation de plus en plus problématique. En cause : le silence qui entoure le dopage dans le tennis, un silence forcément complice – à qui profite le crime ? Kristof Vliegen le confirme : « Le dopage est un sujet très délicat, surtout quand on cite des noms comme l’a fait Christophe Rochus. En plus, il vise un champion, un ex‐numéro un mondial. Je ne dis pas qu’il a tort ou raison, mais il doit faire attention. S’il a reçu une lettre de réprimande de l’ATP, c’est que quelques‐uns se sentent concernés. » Et pose ainsi ses soupçons, s’appuyant sur l’expérience Puerta. « Moi, j’ai eu des doutes sur plein de personnes dans ma carrière, dans tous les sports confondus. J’ai vu des joueurs boire quatre ou cinq Red Bull avant un match. Moi, si j’en prends un, je ne dors pas pendant 24 heures. Mais qui suis‐je pour accuser quelqu’un ? Je n’ai accusé un seul joueur de ma vie, c’est Puerta. Et trois semaines après sa finale à Roland Garros en 2005, il était pris pour dopage. Ce jour‐là, j’estime qu’il m’a volé une bonne place dans un Grand Chelem. Je lui en veux, et j’en veux à l’ATP et à l’ITF de ne pas avoir fait son boulot avant. Tout le monde voyait qu’il n’était pas tout net. » En effet, en 2005, l’année de la finale de Mariano Puerta à Roland Garros, Kristof avait perdu contre l’Argentin au deuxième tour, Porte d’Auteuil, 6–3 7–5 6–2. A l’époque, déjà, à l’issue de la rencontre, il avait fait part de ses interrogations : « C’est une bête sur le court (Mariano Puerta). Je ne sais pas ce qu’il prend ou ce qu’il ne prend pas. C’est son problème. Mais, en tout cas, il est impressionnant… […] J’avais battu Puerta à Palerme l’an passé (NDLR : victoire de Vliegen 6–1 6–2, en 2004). Là, il était beaucoup plus fort. Il m’a baladé. »
« J’ai eu des doutes sur plein de personnes dans ma carrière, dans tous les sports confondus »
Ce silence, Kristof Vliegen, aujourd’hui retraité, s’en insurge, estimant les instances internationales tout à fait capables de cacher un cas positif. « Ils l’ont fait une fois avec Agassi. Pourquoi pas deux alors ? » Pourtant, Francesco Ricci Bitti, Président de l’ITF, s’est dernièrement positionné en faveur de la transparence sur le sujet, lors d’une audition publique devant le Sénat français, pour une commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte anti‐dopage. « Il faut respecter les athlètes et faire qu’ils n’aient qu’une seule autorité en face d’eux pour chaque compétition », s’est élevé Ricci Bitti. « Le premier principe pour progresser dans la lutte contre le dopage, c’est le secret des opérations entre les agences nationale et les fédérations. » Avant d’ajouter – avec quelle fermeté ? celle de Jérôme Cahuzac ou celle de Jean‐Jacques Rousseau ? – : « Le deuxième principe c’est la transparence, et nous sommes prêts à ouvrir tous nos livres. Troisièmement, il faut une coopération complémentaire. » Belle déclaration. Et, pourtant, quelques semaines avant, Gilbert Ysern, Directeur de Roland Garros, s’exprimait devant ce même Sénat… à huis clos. Oui, consulté par le Sénat, il semblait préférer que ses propos ne sortent pas de l’hémicycle. Pour Vliegen, il est nécessaire que les instances de lutte travaillent ensemble – c’est la porte laissée soit‐disant entrouverte par l’ITF à l’Agence Française de Lutte contre le Dopage, en acceptant de montrer et discuter son programme prévu pour Roland Garros. Malheureusement, auparavant, la justice espagnole avait décidé la destruction de 211 échantillons sanguins saisis chez le Docteur Fuentes, qui auraient mis en cause un certain nombre et même un nombre certain de sportifs connus et moins connus. « Où est la limite alors ? » s’étonne Vliegen. « Soit on refuse la tricherie, soit on l’autorise complètement. Si on définit des limites, tout le monde doit jouer le jeu. »
« Soit on refuse la tricherie, soit on l’autorise »
C’est là que la bombe est déposée. Ce Docteur Fuentes et cette fameuse affaire Puerto. Et une certaine liste, recensant les sportifs ayant eu potentiellement recours aux services du médecin espagnol. Kristof Vliegen lâche, au passage : « Je ne sais pas qui est sur la liste (il hésite). Enfin si, je sais qui il y a sur la liste. J’ai vu certains noms. » Voici l’échange qui s’ensuit avec note confrère Michaël Bouche, de 7s7 :
« Vous avez vu la liste ?
»
« Oui, je me la suis procurée via une de mes relations dans le milieu du sport. J’ai vu des noms, tous sports confondus, pas uniquement du tennis. Quand j’ai appris que cette liste existait, je me suis débrouillé pour en avoir une copie par photo. […] »
« Avez‐vous été surpris en voyant certains noms ? »
« Oui. Et je peux vous dire que j’ai mis 48 heures pour m’en remettre. J’ai été très surpris par certains noms, moins par d’autres. Que ce soit clair, je n’accuse personne. Attention, et j’insiste sur ce point, le fait qu’un sportif figure sur la liste ne signifie par forcément qu’il a eu recours à des transfusions sanguines, même s’il y a de fortes suspicions. Je peux vous parler de quelqu’un qui est aux alentours de la 180e place mondiale. Jamais je n’aurais pu avoir l’ombre d’un soupçon sur ce gars tellement il ne paie pas de mine. Si je le vois ici, je lui donnerais cinq euros pour manger. […] »
« Qui est sur cette liste ? »
« Pourquoi je donnerais des noms ? Vous gagneriez quoi ? »
« Je me suis procuré la liste de Fuentes »
C’est dit. Alors, oui, le scoop n’est pas lâché à 7s7. Mais la parole vit et se répand. Evidemment, il s’agit de Kristof Vliegen, certes pas le joueur le plus connu du circuit. Justement, un garçon qui a peut‐être moins à perdre que d’autres. Et dont les propos s’ajoutent aux récentes déclaration d’Andy Murray : « La manière dont a été traitée l’affaire Puerto, c’est au‐delà de la blague… La plus grande dissimulation de l’histoire du sport ? Pourquoi ordonnerait‐on la destruction des poches sanguines si ce n’était pas le cas ? » Et de Tomas Berdych : « Le système actuel… Je ne sais pas s’il fonctionne pour les autres, mais, pour moi, il ne fonctionne pas. Vous êtes obligés de donner votre position exacte chaque jour. Je l’ai fait pendant trois ou quatre ans déjà et je n’ai eu que deux tests hors tournois. Pourquoi devons‐nous dire où nous nous trouvons tous les jours, si ce n’est pour subir que deux contrôles en quatre ans ? Cela n’a aucun sens. Si j’avais été celui qui avait engagé les personnes qui y ont réfléchi et ont apporté cette solution, je les aurais déjà virées. Ce système est un vrai désastre. » Opération de communication dans ces deux derniers cas ? Peut‐être pas. Mais, quelle que soit la lutte, pour certains, le problème reste intact. « Il faut retirer la lutte antidopage du monde du sport », expliquait dernièrement le Docteur Jean‐Pierre de Mondenard, figure de la dénonciation du dopage, dans 20 minutes. « Actuellement, c’est le monde du sport qui sanctionne les sportifs, ces mêmes sportifs qui le font vivre. C’est comme si on demandait au renard de garder le poulailler. Le problème numéro un de la lutte antidopage est le suivant : les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne trouvent pas, et les laboratoires cherchent des substances que les sportifs ne prennent plus. » Christophe Rochus, dans La Libre, y voyait aussi une logique : « Le but, c’est que ce ne soit pas clair ! Tout le monde s’arrange pour que ce ne soit pas clair. Moins vous mentez, moins vous donnez d’explications, au mieux c’est ! Regardez Robin Söderling… Il a gagné le tournoi de Bastad en 2011 et depuis, il ne joue plus au tennis. Il est soi‐disant gravement malade alors que je suis sûr qu’il était imbattable à ce moment‐là. On ne peut pas négliger le fait que ce soit très suspect ! »
En attendant, Kristof Vliegen, lui, face à ce désolant panorama, peut dormir sur ses deux oreilles : « Non [je n’ai jamais été tenté de recourir à des substances interdites]. En revanche, j’ai eu la proposition. J’aurais pu prendre des trucs pour mon épaule, mais j’ai toujours estimé qu’il y avait une vie après le tennis. » On espère que certains autres se retournent dans leur lit… Quand l’autruche met sa tête dans le sable, elle ne peut empêcher ce dernier de s’y introduire subrepticement.
L’entretien de Kristof Vliegen pour 7s7 est à lire ici dans son intégralité : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1516/Omnisports/article/detail/1636534/2013/05/22/Kristof-Vliegen-a-7sur7-Quand-j-ai-vu-la-liste-Fuentes-j-ai-mis-deux-jours-pour-m-en-remettre.dhtml.
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Publié le jeudi 23 mai 2013 à 17:30