Notre rétro de l’année 2011 à WLT/GrandChelem, ce sont des coups de cœur et des coups de blues. Un joueur, un match, un tournoi… Bref, des moments forts qui nous ont plus ou déplus tout au long de cette saison. Aujourd’hui, station sur l’année de Rafael Nadal. Et c’est un coup de cœur !
Forza Marion Bartoli (4÷10)
Caroline Wozniacki, amusante ou exaspérante ? (3÷10)
New York, De Niro, Djokovic et le seigneur Federer (2÷10)
Roger Federer, le meilleur pour la fin (1÷10)
Parlons un peu de Rafael Nadal. Sa saison 2011 est l’une de ces saisons qu’on ne sait qualifier : en‐dessous des standards qu’il s’est imposés, bien au‐dessus des exigences du commun des joueurs. Une saison qui nous laisse et le laisse dans le flou, tant sur le plan sportif qu’extra-sportif. La saison du doute, mais aussi celle de l’affirmation maladroite. Celle de la fin de l’adolescence. Celle qui en fera un homme. L’année de la crise, au sens originel : celle du choix.
Rafael Nadal, en 2011, c’est quatre titres : un à Monte‐Carlo, un autre à Barcelone, un troisième à Roland Garros et un dernier en Coupe Davis. C’est aussi – et c’est souvent ce qui reste dans un cadre déceptif – sept finales de perdues : Indian Wells, Miami, Madrid, Rome, Wimbledon, Flushing Meadows et Tokyo. Dont six face au même homme. Dont deux sur sa surface fétiche, qui le voit normalement invincible. Dont deux en tournois du Grand Chelem.
Ca fait mal, c’est sûr. Parce qu’il était pratique, à Nadal, de se dire : « Sur terre, c’est moi le boss. » Comme ça l’était, pour Federer, sur gazon, avant 2010. Parce qu’il était pratique, à Nadal, de faire vivre aux autres ce qu’il ne vivait pas lui‐même, de se faire bête noire, sans, lui, en craindre aucune. Parce qu’une inévitable remise en question générale s’ensuit, à l’heure de faire le bilan de son année la moins prolifique depuis 2004, qui l’a vu s’incliner autant de fois en finale qu’en 2008, 2009 et 2010… cumulés. Parce que, sans lui enlever son mérite, 2011 met en avant la faiblesse d’un 2010 semblant exceptionnel : adversité en berne. Les faiblesses, on en profite, mais c’est l’adversité qui vous fait progresser.
L’adversité, Rafael Nadal y a été confronté comme jamais en 2011, opposé à 24 reprises à un membre du Top 8, pour 84 rencontres dans l’année. En 2010, ce nombre se montait à 15, pour 81 ; en 2009, à 23, pour 80 ; et 2008, 19, pour 93. Cette adversité, elle a fait grandir Rafa, n’en doutons pas. Elle s’est fait le terreau fertile d’une émancipation assez brutale et d’un travail sur soi. C’est ce contexte‐là, qui l’a vu prendre ses distances avec son oncle Toni. « J’ai décidé de donner mon avis », affirme‐t‐il, comme pour bien faire comprendre qu’il veut trouver, lui, ses propres solutions aux problèmes qu’on lui pose. A tel point que l’on avait parlé d’une possible rupture intra‐familiale… Ce contexte qui lui fait résonner un ferme son de cloche bien différent de son illustre aîné, Roger Federer, sur les questions de l’ATP, qui de calendrier, qui de classement : « [Roger] a ses idées comme Président du Conseil des joueurs, j’en ai d’autres en tant que Vice‐Président. » Certes, c’est loin d’être la première fois et ça ne remet pas en cause un respect mutuel, mais les deux ex‐patrons du circuit semblent avoir bien du mal à se mettre d’accord – même chose sur le sujet de la Direction de l’ATP, Rafa soutenant un candidat, Roger un autre. Toujours ce même contexte qui révèle un Rafael Nadal tranchant dans ses opinions, comme s’il cherchait à s’affirmer et se construire enfin un avis, son avis, sa pensée : « A mon sens, regarder un match entre Pete Sampras et Goran Ivanisevic, ou un autre avec ce type de joueurs, ça n’est pas agréable. Ca n’est pas vraiment du tennis, seulement quelques coups de raquette. »* « C’est toujours la même histoire, vous ne pensez qu’à l’argent ! [au Directeur de l’US Open] » Comme la Fédération Internationale de Tennis ne veut rien entendre, la seule solution qu’il nous reste, c’est une solution de force ; si ça continue comme ça, les meilleurs joueurs du monde arrêteront, tout simplement, de jouer [la Coupe Davis]. »
« J’ai décidé de donner mon avis »
Vue sous ce prisme‐là, la saison 2011 de Rafael Nadal semble marquer un point de passage. Finis l’insouciance et le tennis comme défi personnel, place à une forme de désillusion et de trouble intérieur. D’ailleurs, il le dit lui‐même, « [il a] manqué de passion » et se sent « fatigué », « très fatigué ». En vient aussi à aborder la question de la douleur dans l’ouvrage de John Carlin, « Rafa, mi historia » : « Le sport professionnel amène votre corps au‐delà de ses limites, des limites qu’il n’est pas prêt à franchir naturellement, qu’il n’est même pas fait pour franchir. […] La majeure partie du temps, je souffre en jouant. Moi, j’ai besoin de travailler très dur pour m’habituer à la douleur, pour m’émanciper de la tension musculaire. […] Il faut apprendre à gérer la douleur. »
Aujourd’hui, cette « désillusion », ce « trouble », cette « douleur », ils ont un nom : le « doute ». Le doute, qui fait partie de la vie de tout homme, au quotidien, qui aide à progresser et éclaircir ses eaux troubles. C’est aussi l’avis de Nick Bollettieri : « Quand tu commences à perdre contre un joueur et que tu es le plus grand battant de l’histoire de ce sport, tu dois faire face à tes doutes. […] C’est une nouvelle expérience pour lui. » Pour faire face au doute, Rafael Nadal choisit de choisir, choisit de grandir et de s’émanciper – quitte à débiter quelques maladroites sottises (et je pense au classement !), comme pourrait le faire tout un chacun. C’est le grand changement de cette année 2011, pour lui, et c’est pour ça que j’en fais mon coup de cœur personnel – sans être nadalien, pour autant. Ce Nadal 2011 est d’une humanité touchante et, parfois, désarmante.
C’est aussi ce qui permet de penser qu’il lui reste de beaux jours devant lui et toute une vie d’adulte sur le plan sportif. Si ce n’est pas l’année prochaine, peut‐être sera‐ce en 2013 : gageons qu’il parviendra à supporter et surmonter ce doute pour en sortir plus fort. Comme il l’a toujours fait. Rappelle‐toi, Rafa… « If you can meet with Triumph and Disaster/And treat those two impostors just the same/[…] And – which is more – you’ll be a Man, my son ! »
* A retrouver ici.
Les plus beaux matches de Rafael Nadal sont dans le livre « Grand Chelem, mon amour », disponible sur www.kdotennis.com. Retrouvez les 40 matches de légendes de la décennie 2001–2011. Un livre de la rédaction de GrandChelem/Welovetennis.
Publié le jeudi 29 décembre 2011 à 13:32