AccueilPetits AsLisnard : "L’état d’esprit est la partie essentielle pour moi"

Lisnard : « L’état d’esprit est la partie essen­tielle pour moi »

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Venu aux Petits As en tant que coach de la Belge Sofia Costoulas, Jean‐René Lisnard, fonda­teur du centre Elite Tennis Center à Cannes, s’est confié sur l’im­por­tance d’un tel événe­ment, mais aussi sur la forma­tion des jeunes joueurs.

Comment se prépare un tel événe­ment avec une jeune joueuse (la Belge Sofia Costoulas, huitième de finaliste) ?

Pour moi, c’est un tournoi comme un autre qui doit être dans la conti­nuité du travail quoti­dien. Il y a un peu plus de monde que sur les autres tour­nois, mais les joueurs et joueuses le savent, ils en ont entendu parler. Si ça inhibe déjà un joueur ou une joueuse, ça va être problé­ma­tique pour le haut‐niveau.

Le fait d’habituer les jeunes à cet envi­ron­ne­ment avec le public, les gradins ou les médias est une bonne chose ?

C’est une première pour eux, à 14 ans. Sofia était à l’Orange Bowl, il y a personne qui regarde. Ici, c’est tota­le­ment diffé­rent, il y a beau­coup de public. C’est un avant‐goût de ce qui peut les attendre dans la vie du joueur professionnel.

Doit‐on perce­voir cet événe­ment comme une étape ?

Exactement ! Si vous regardez le palmarès, il y a des joueurs qui sont passés ici mais qui n’ont rien fait, cela ne les a pas empêché de devenir numéro 1. D’autres ont gagné et on ne sait pas ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Si tu gagnes, c’est bien, mais la route est encore très longue.

Que regardez‐vous avec votre œil de coach quand vous venez ici ?

Je dirai l’énergie dégagée par un joueur, l’état d’esprit, l’envie de jouer et de gagner. C’est ça le plus impor­tant. Beaucoup de gens regardent la frappe de balle, mais moi ça ne m’intéresse pas. On a l’impression que certains joueurs ont 18 ans et d’autres 11 ans physi­que­ment, donc forcé­ment, ils frappent plus fort. L’état d’esprit est la partie essen­tielle pour moi. Je regarde aussi s’il a les bonnes habi­tudes, car c’est très compliqué à incul­quer, mais aussi le sens du jeu. Des choses qui paraissent invi­sibles pour le spec­ta­teur grand public.

Quel regard portez‐vous sur les jeunes français ?

Par rapport à ce que je vois sur le circuit ou dans mon centre, je trouve qu’en France, on manque de « niaque ». Ça se voit à tous les niveaux. Et c’est surtout ça le problème, car les Français ne jouent pas plus mal que les autres. Ils tapent bien la balle. Il y a quelques jours j’étais sur un tournoi Future et j’ai vu énor­mé­ment de bons joueurs fran­çais. Dans mon centre, à entraî­ne­ment égal, les étran­gers avancent souvent plus vite. Ce qui est inté­res­sant, c’est que l’on a tous les niveaux, de négatif à un joueur comme Daniil Medvedev. On ne fait qu’une partie du travail, je n’ai pas la préten­tion de dire que je forme des cham­pions. On y met simple­ment de la passion et de l’énergie et c’est le gamin qui prend. Sur la moyenne, les étran­gers prennent plus que les Français.

Les médias, sommes‐nous trop durs avec les Français ?

Pour être honnête, je ne lis pas la presse. Je connais, mais je ne regarde pas. Les médias font partie du parcours. En France, ça s’emballe vite. Les étran­gers que l’on a ne reçoivent aucune aide, ils paient pour apprendre, ils se battent et ils savent que dans leurs pays on ne parle pas d’eux avant bien long­temps. Ils font leur truc, ils gagnent un Future, ils ne se prennent pas pour un autre. Un étranger n’est pas plus disposé qu’un Français. On a la chance d’avoir une très bonne école de tennis, une « Fédé » qui fait du bon boulot et on a des moyens, ce qui n’est pas le cas de tous les pays. On a des infra­struc­tures. Mais, il y a un manque. Et quand les quatre ou cinq meilleurs joueurs fran­çais arrê­te­ront, il y aura un gouffre.

Finalement, on forme très bien les joueurs, mais on oublie que le cham­pion reste aussi une exception…

On forme très bien sur toute la partie tennis, mais on oublie l’essentiel : la tête. Regardez Paolo Lorenzi, qui est un peu mon idole. Quand on voit ce qu’il a réussi avec ses moyens, c’est un cham­pion. Je le cite en exemple à mes joueurs, mais ça les embête car ce n’est pas très glamour (rire). Je le connais depuis un moment, il a progressé lente­ment mais toujours un peu. Il a toujours eu un enthou­siasme incroyable et une passion pour ce sport. Il a tout déve­loppé à la base du cerveau car il n’a pas de qualités excep­tion­nelles. J’ai beau­coup d’estime pour ce gars.

Comment vous vous servez de votre carrière pour les aider ?

Je suis un passionné et je connais le piège du succès quand vous êtes jeune comme le compor­te­ment de l’entourage et le milieu du tennis. Être bon en jeune n’est pas une sécu­rité pour l’avenir.

Quel est le piège dans lequel un jeune pour­rait tomber en étant ici ?

Je n’invente rien, mais le gamin qui gagne ici pour­rait se croire arrivé. Ce n’est pas le cas, il y a encore beau­coup d’étapes à fran­chir dans la vie, il peut y avoir des bles­sures, des défaites… Il ne doit pas y avoir de la panique car c’est le processus normal, mais un gamin n’est pas forcé­ment lucide pour l’accepter.

Quel regard portez‐vous sur les parents ?

Les parents sont beau­coup plus présents que par le passé. L’entraîneur doit entraîner et le joueur joue. On nous cite toujours les exemples qui ont réussi en passant sous silence les 1000 autres cas qui ont échoué. Ce n’est pas un débat pour moi, c’est une convic­tion. Vous allez au cercle des nageurs d’Antibes, les parents ne sont pas au bord du bassin. Vous allez au centre de forma­tion des Girondins de Bordeaux, les parents ne sont pas au bord du terrain. Au tennis, on a laissé faire. Aujourd’hui c’est beau­coup plus dur de tenir mon discours car il faut aller à l’encontre de tout le monde. Mais pour moi, c’est une hérésie.

Comment jugez‐vous le niveau actuel que ce soit chez les jeunes ou sur le circuit ? Est‐il plus dense ?

C’est très compliqué à comparer. Je me demande souvent : est‐ce que je jouais mieux ou pas à leur âge ? Je ne sais pas. Ce que l’on voit du haut‐niveau, car je suis aussi sur le circuit ATP avec Daniil (Medvedev), est que le niveau est moins fort. Les joueurs frappent tous mieux mais il n’y a plus de variété. Aujourd’hui, tout le monde veut frapper la balle, ce qui est le cas. La longé­vité de certaines carrières, en sachant que Federer ou Nadal sont des excep­tions, s’explique aussi par l’absence de relève derrière. Je ne dirai pas le nom, mais un joueur m’a dit cet hiver : je vais en Australie car le niveau n’est pas fort. Et c’est un des meilleurs. La relève manque aussi de « figh­ting spirit » à la Hewitt, ce que je retrouve chez Alex de Minaur. Pour moi, les joueurs qui auront cette envie seront en haut. Edmund n’est pas un génie du tennis, mais on a vu qu’il avait cette « niaque ».

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