Coach mental, Jacques Hervet analyse pour We Love Tennis les conséquences du huis clos, une situation inédite qu’il faudra savoir gérer.
Cet entretien a été édité dans le numéro 75 de We Love Tennis Magazine.
Quand on coache un joueur, on lui dit de maîtriser ses émotions. Avec le huis clos, le cadre change fondamentalement, comment abordez‐vous cette situation ?
C’est l’ADN d’un champion de s’adapter aux conditions de jeu et à des situations inédites. S’ajuster à son environnement, la surface, la balle, le climat, le vent, le public ou l’absence de public. Son fonctionnement hebdomadaire sur le circuit est centré sur ce qu’il peut contrôler, il ne doit pas se prendre la tête avec le reste. Donc il s’habituera. L’adaptation principale sera de se mettre dans un état d’esprit de « match‐play », de compétition alors que les joueurs évolueront dans des conditions d’entraînement. En effet, les champions, en rentrant dans l’arène, puisent l’énergie du public, des cris, des encouragements ou des sifflets. Ils jouent avec le décorum des grands courts et les émotions qu’ils y vivent. Ils risquent de perdre un avantage sur les « seconds couteaux », moins habitués à cette adrénaline.
Quels sont les remèdes à prescrire pour favoriser la motivation interne alors que les tribunes sont vides ?
La motivation ne vient pas directement du public. Pour moi, je travaillerais avec le joueur sur sa motivation intrinsèque constituée de plusieurs composants. Le premier serait l’aspiration : trouver du sens. Une des plus grandes sources de stress, c’est de faire quelque chose qui n’a pas de sens. Se demander : « Pourquoi suis‐je ici ? Quel est mon objectif ? » Le deuxième élément serait la mobilisation : retrouver une certaine stabilité de fonctionnement et une cohérence de plaisir et d’objectif, même si, à ce jour, les objectifs sont encore très flous pour les joueurs.
La player’s box joue souvent un rôle essentiel avec les échanges de regard, les applaudissements. Dans ces conditions, ce sera forcément encore plus le cas.
La player’s box sera réduite à la portion congrue. Encore une adaptation pour les grosses écuries, celles des champions, qui sont souvent accompagnés de deux ou trois coachs, physio, préparateur physique, mental, famille, amis. Ce sera donc une relation plus individualisée, peut‐être plus impactante, qui se passera par le regard, la voix, le physique, les encouragements gestuels. Le joueur peu ou pas accompagné habituellement se sentira aussi plus à l’aise dans les vestiaires, à égalité numérique avec le champion.
Dès l’entraînement, le joueur devra‐t‐il se mettre dans un « dispositif » dit de match puisqu’un match d’entraînement sera presque semblable à un match à huis clos ?
Je ne pense pas. La préparation sur le terrain ressemblera aux entraînements habituels. J’y vois plutôt une préparation en amont dans des échanges hors terrain entre le coach et le joueur pour le préparer, par un travail d’imagerie mentale ou de visualisation, aux nouvelles situations de match.
À huis clos, le son sera déterminant, le son à la frappe, mais aussi le son de l’adversaire. Faudra‐t‐il là aussi travailler d’autres détails pour être plus performant ?
À huis clos, il y aura des adaptations en amont à faire sur les aspects sonore et visuel. Les « auditifs » seront un peu pénalisés, mais s’adapteront comme ils le font sur les courts couverts. Les « visuels » devront adapter leur vision périphérique. J’y vois plus la « pression du silence ». Certes, le tennis est un sport pratiqué dans le silence par tradition, il n’y aura pas de différence au cours des échanges, avec les rugissements habituels et le son de la frappe de balle. En revanche, entre les échanges, ce silence pourrait être déstabilisant, voire démotivant à la longue. Il faudra s’y préparer, le joueur créant « sa musique » d’encouragement dans sa tête.
Le huis clos peut‐il favoriser certains profils de joueur en termes de performance plutôt que d’autres ?
Certains vont se révéler. J’ai travaillé avec des joueurs transcendés par le public dans des conditions de Coupe Davis, comme Leander Paes. Son état d’esprit et son jeu se transformaient. Beaucoup plus transparent dès qu’il jouait sur le court 23, dans l’anonymat d’un court vide. Jimmy Connors était un adepte de « ove the Battle » et des perfusions énergiques du public avec des matchs mémorables à l’US Open 1991 contre le pauvre Aaron Krickstein, ou contre Jean‐François Caujolle qui perdit le fil de son match presque gagné au cours de l’édition 1980 de Roland‐Garros. Jimmy savait se transformer en même temps que son adversaire se délitait avec la montée de décibels. Maintenant, il me semble que tous les joueurs actuels sont beaucoup plus prêts « à faire le job » sans montagnes russes émotionnelles qui se répercuterait sur leur tennis.
Peut‐on dire que jouer à huis clos sur toute la durée d’une compétition et non sur un match en particulier sur un court annexe présente une différence fondamentale ?
Oui, mais je vais peut‐être vous surprendre. Cela ne se passe pas sur le court, mais dans la globalité du tournoi. J’y vois plus une perturbation de l’environnement global du tournoi et de ces deux à trois semaines à passer sur le site avec si peu de monde. Le jeu sur le court représente finalement peu de temps. Le reste, c’est 360 heures à remplir, avec des conditions perturbées, un isolement relatif, les transports, le logement, les tests PCR peu agréables à passer, la tension permanente de ne pas être contaminé.
Auront‐ils tous et toutes assez de concentration et de motivation pour pouvoir tenir sur la durée ?
Un levier pour moi sera de faire revivre au joueur l’état d’esprit de ses débuts. Le tennis à huis clos sera différent sur la forme, mais gardera l’essence même du jeu‐tennis : le duel sans temporalité dans le plus grand dépouillement. Oui, revenir aux racines du jeu sera l’enjeu de ce huis clos. Pour éclairer mon propos, j’utiliserai une de mes interviews favorites de Roger Federer : « L’envie vient toute seule. Ce que je fais souvent, c’est revenir aux racines. Pourquoi, enfant, ai‐je choisi le tennis ? Pourquoi ai‐je travaillé si dur toutes ces années ? Qu’est-ce qui me plaît tant que ça quand je joue ? Et j’ai tout de suite mes réponses.
Publié le jeudi 16 juillet 2020 à 14:21